Révolution agricole à Matam : Trois campagnes dans l'année, avec le goutte-à-goutte

Révolution agricole à Matam : Trois campagnes dans l'année, avec le goutte-à-goutte

LE SOLEIL

L'introduction de la technique de goutte-à-goutte a révolutionné l'agriculture dans la région de Matam. Avec ce système, les exploitants ont un calendrier cultural qui s'étale sur toute l'année, avec des rendements nettement meilleurs par rapport au système classique.
mardi 20 novembre 2007

L'unique bémol à ce système, les agriculteurs sont confrontés à un problème de disponibilité de l'eau et de commercialisation des productions.
Au sol, des fils noirs finement percés arrosent les plantes de cette substance nutritive à longueur de journée. Un réservoir d'1m3 d'eau mélangée avec de l'engrais soluble alimente le réseau. Il fait face aux rangées verdoyantes des cultures. Par ce système, les goutteurs remplacent les arrosoirs, soulageant ainsi les exploitants des dures journées de labeur dans les champs. Dans l'arrondissement de Agnam Civol, à 70 km de Ourossogui, la capitale économique de la région de Matam, les agriculteurs découvrent, avec une grande satisfaction, une nouvelle technique de culture : le système du goutte-à-goutte. Face au manque d'eau et à la panne récurrente des forages, l'Agence nationale de conseil agricole et rurale (Ancar) leur a proposé le Family drop system ou le projet de goutte-à-goutte familial.
Un système qui leur permet de ne plus dépendre de l'hivernage pour cultiver et de travailler la terre en temps plein et pendant toute l'année. Dans chacune des deux exploitations familiales parrainées par l'Ancar, l'on ne cesse de tarir d'éloges sur le projet.
Aujourd'hui, ils sont deux Groupements d'intérêt économique (Gie) de la localité de Agnam Civol à bénéficier de cette technique.  Avant ce projet, on creusait et on faisait tout sans parvenir à un grand rendement , explique Bouna Sow, président du Gie « Atoumany Belal », un des bénéficiaires du projet.  Ce système m'a permis non seulement de cultiver toute l'année mais aussi de disposer d'un calendrier cultural , renchérit Soulèye Bâ, président du Gie « Bamtaaré » (développement en pulaar).
Dans cette localité, la campagne agricole dure toute l'année. D'une récolte l'an, Bouna Sow et Soulèye Bâ en sont maintenant à trois. La première expérience de Soulèye et Bouna a débuté en février 2005, avec le melon. Au terme de 65 jours de culture, Soulèye déclare avoir gagné 155.550 francs Cfa de profit des 400 m2 de la superficie utilisée pour le goutte-à-goutte. Bouna, lui, fait un bénéfice de 900.000 francs Cfa en misant sur une étendue de 1.000 m2.
Ces gains s'accompagnent des connaissances en comptabilité acquises avant le démarrage du projet. Un autre bonus ! Ibrahima Gakou, président du Cadre local de concertation des organisations de producteurs (Clcop) de la localité, évoque d'autres avantages liés à ce projet.
“ Les gens ne travaillent plus au hasard, se réjouit-il, en ajoutant qu'avec ce système, les exploitants ont une idée de leur gain. Avant même de commencer la production, on connaît ce qu'on doit gagner. Si c'est un million, c'est soit cette somme ou plus .
Aussi le goutte-à-goutte permet une diversification des cultures. Les deux exploitants d'Agnam Civol ont même adapté celles-ci aux différentes saisons.
 La périodicité dépend du cycle de maturation des cultures , informe Fama Sow de l'Ancar. De plus, avec ce projet, les paysans ont diversifié leur alimentation et leurs gains mensuels connaissent une augmentation. Après l'amortissement (frais de clôture, réparation et entretien), les paysans s'en sortent toujours avec un bénéfice. Ce qui n'était pas toujours le cas avant l'introduction de cette technique culturale. Et finit également la hantise des bons impayés. On vend toujours au plus offrant.
C'est moins fatigant... 
Aujourd'hui, cette belle expérience a même fait tache d'huile chez les autres exploitants de la localité qui veulent aussi entrer dans l'ère du goutte-à-goutte. Oumar Ngaïdo du Gie « Ngaïdembe » a payé de sa poche pour se faire installer le système.  C'est moins fatigant. Je ne fais qu'ouvrir et fermer les robinets et peut-être faire de petites réparations quand c'est nécessaire , raconte hilare ce vieil homme de 65 ans.
Dans son périmètre, la pastèque, le piment, la banane et d'autres cultures étalent leurs feuilles vertes. Le goutte-à-goutte a aussi inspiré les experts du Programme de développement agricole de Matam (Prodam) qui ont déjà injecté des millions de francs pour soutenir plus de 600 Gie de femmes. Cependant, souligne Fama Sow de l'Ancar, le système du Prodam, de type communautaire est différent de celui familial “ plus bénéfique ”. A 73 ans, Bouna Sow, qui fut un grand voyageur devant l'éternel, ne compte plus sortir du pays pour faire fortune. “ J'ai fait presque tous les pays d'Afrique, mais avec ce projet je n'ai plus besoin de bouger. Je ne me fatigue pas trop et je fais des bénéfices ”, raconte-t-il, en demandant que le projet soit étendu à d'autres exploitants de la région de Matam.
La culture par le goutte-à-goutte est aujourd'hui redevable au bureau régional de l'Ancar de Matam. Avant l'introduction du système, Soulèye et Bouna ont séjourné cinq jours dans la ferme-pilote de Keur Momar Sarr (région de Louga) pour s'inspirer de l'expérience déjà acquise par les agriculteurs de cette zone des Niayes du Sénégal. Grands maraîchers. Séduits par cette technique culturale, les stagiaires d'hier sont devenus aujourd'hui des experts dans la culture par le système du goutte-à-goutte. Pionniers, ils suscitent l'émulation des autres paysans confinés encore dans la technique traditionnelle.
Un bémol vient pourtant fausser cet optimisme. Ces exploitants sont confrontés à deux handicaps majeurs : la disponibilité de l'eau et la commercialisation des productions. Le système est alimenté en eau par le forage du village. Or, cet ouvrage tombe en panne deux jours sur trois. Plongeant ces exploitants dans la psychose d'une campagne perdue. Il y a de cela quelques mois, le forage est tombé en panne plus de vingt jours. N'eût été l'intervention de l'Ancar, qui a convoyé des citernes d'eau depuis Matam, on aurait perdu cette campagne , raconte impuissant et désarmé, l'un d'eux, devant cette situation.
La maîtrise de l'eau est le souci des agriculteurs d'Agnam Civol. Une bonne campagne dépend toujours de la disponibilité de l'eau, soulignent-ils. Un début de solution a été trouvé, indique Fama Sow du bureau régional de l'Ancar de Matam, avec le financement par le Fonds spécial de développement de la Francophonie de puits hydrauliques. Ces puits acquis grâce à l'intermédiation de l'Ancar actuellement en fonçage permettront une autonomie en eau des exploitations. L'enjeu reste cependant, la multiplication de ces puits. Seuls deux exploitants ont été financés à Agnam Civol.
L'autre contrainte reste la commercialisation. Avec la multiplication des exploitants et les cultures qui mûrissent pratiquement au même moment, ces agriculteurs peinent à écouler leurs productions.  On produit, mais on n'a pas un marché où vendre , se plaint Ibrahim Gakou. Le marché local se révèle trop petit pour absorber toute la production. Or, les moyens pour transporter les produits jusque dans les grandes villes comme Dakar, Saint-Louis, Thiès font encore défaut. Conséquence : les exploitants sont obligés de brader leurs productions. Dès fois même, celles-ci pourrissent sur place faute de trouver des acquéreurs.
Il nous arrive quand le marché est saturé de mettre la production dans des fosses pour faire du compostage , déplore M. Gackou. Si ces problèmes sont réglés, il pense que les populations de la région de Matam, notamment les jeunes, ne migreront plus. Ils vont chercher de l'argent en Europe, s'ils en trouvent chez eux qu'est-ce qu'ils iront faire ailleurs, s'interroge-t-il, en sollicitant un appui et un accompagnement de l'Etat.
IBRAHIM GACKOU, PRESIDENT DU CADRE LOCAL DE CONCERTATION DES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS (CLCOP) D'AGNAM CIVOL : Avant on travaillait beaucoup la terre ,mais les rendements ne suivaient pas.
Le président du Cadre local de concertation des organisations de producteurs d'Agnam Civol estime que le goutte-à-goutte a révolutionné les techniques culturales des exploitants avec des rendements nettement meilleurs. Il souligne que si le problème de l'eau et de la commercialisation est réglé, le système peut constituer une parade à l'émigration clandestine.
Quand est-ce que le système de goutte-à-goutte a été introduit à Agnam Civol ?
Il date de 2005 avec l'arrivée de l'Agence nationale de conseil agricole et rural (Ancar) qui a commencé à intervenir dans la région de Matam, notamment dans notre localité. Les responsables de l'Ancar avaient expérimenté le système avec deux périmètres-pilote. Des agriculteurs sont allés aussi visiter des champs irrigués avec le système du goutte-à-goutte. Lorsque les gens ont été convaincus du système, nous avons commencé l'application. Je tiens toutefois à vous dire que nous sommes les premiers à expérimenter un tel système dans la région de Matam.
Quels sont les avantages du goutte-à-goutte par rapport au système traditionnel de culture ?
Le goutte-à-goutte est un système d'irrigation très économique. Aussi bien dans la gestion de l'eau, que du temps de travail. Le système est très productif car, les rendements sont aussi très importants. C'est un système qui ne demande pas beaucoup de personnes pour mettre la terre en valeur. Il nécessite juste une surveillance.
Le système du goutte-à-goutte semble vous satisfaire d'après les appréciations que vous faites ?
Oui, parce qu'avant le goutte-à-goutte, on travaillait beaucoup la terre et les rendements ne suivaient pas. De plus, pour cultiver une surface importante, il nous fallait beaucoup de bras.
Ce qui n'est plus nécessaire avec ce système. Deux à trois personnes peuvent mettre en valeur deux à trois hectares avec moins d'efforts et peu d'eau, avec des rendements qui dépassent toujours nos attentes.
L'expérience semble réussir puisqu'il y a d'autres agriculteurs qui s'intéressent à ce que vous faites... 
Effectivement. Au début, il n'y avait que deux organisations de producteurs. Mais aujourd'hui, nombreux sont ceux qui font du goutte-à-goutte avec leurs propres moyens sans attendre de financements.
Ce sont des individus qui ont des moyens et leurs périmètres et ont payé le réseau et fait installer le système du goutte-à-goutte. En plus des organisations de producteurs, des projets et des programmes comme le Programme de développement agricole (Prodam) ont aussi commencé à financer le goutte-à-goutte. Ainsi, c'est grâce à l'expérience commencée à Agnam Civol que les autres ont eu le courage de se lancer dans la culture et d'investir dans le goutte-à-goutte.
Quels sont les produits cultivés dans vos différents périmètres ?
On cultive presque toutes les variétés maraîchères. Il y a des choux, des aubergines, des navets, des gombos, de la carotte, des melons, de la pastèque, etc.
Après une année de campagne, combien peut gagner un producteur ?
Avec le système du goutte-à-goutte, l'Ancar a formé les producteurs à la gestion communautaire. Ainsi, chaque produit récolté est pesé avant d'être vendu. Chaque producteur dispose d'un cahier journalier.
Par exemple, pour le producteur avec qui vous venez de discuter, il a eu pour sa première récolte 975.000 francs Cfa. Pour la deuxième récolte, le chiffre d'affaires est à peu près identique, sans compter les produits non vendus et les produits consommés. Si on fait par exemple une estimation globale d'un produit, c'est toujours plus d'un million de francs Cfa. Avant le système du goutte à goutte même, si on cultivait quatre à cinq hectares, on ne pouvait pas réaliser un tel chiffre d'affaires. Malgré cette expérience réussie du goutte-à-goutte, le système est pourtant confronté à des difficultés...
Notre problème majeur, c'est la maîtrise de l'eau et la commercialisation des produits. Avec le système du goutte-à-goutte, nous sommes connectés au forage d'Agnam Civol. Et fréquemment, le forage tombe en panne, la gestion n'est pas bonne.
Chaque mois, le forage fonctionne au meilleur des cas 20 jours sur 30. Le reste du mois, on se débrouille pour arroser nos champs. Parfois, il nous est arrivé d'aller chercher de l'eau jusqu'à Matam avec le soutien de l'Ancar.
Heureusement que le système n'a pas besoin de beaucoup d'eau. Cependant, cette eau doit être disponible en permanence sinon c'est un échec total. Il y a des campagnes perdues à cause de la non-disponibilité de l'eau. La commercialisation constitue aussi un autre problème. Parfois on produit, mais on n'a pas un marché où vendre. Les organisations de producteurs ne disposent pas pour le moment de suffisamment de moyens pour transporter leurs productions jusqu'à Dakar ou dans les autres grandes villes. Présentement, la production est localement vendue à Agnam et dans les localités environnantes notamment à Oréfondé, Thilogne.
Il nous arrive également quand le marché est saturé de mettre la production dans des fosses pour faire du compostage.
La commercialisation de nos produits nécessite l'intervention de l'Etat ou d'autres programmes. Ce sont les deux grands problèmes. Il y en a d'autres mais auxquels nous pouvons faire face comme la vétusté des équipements.
Actuellement aucun producteur ne compte sur un financement pour renouveler un réservoir, leur gaine, l'installation du goutte-à-goutte, pour réparer un robinet. Mais pour l'eau, c'est un gros problème auquel nous ne pouvons pas seuls faire face. Grâce au soutien de l'Ancar, on avait élaboré des projets qui ont été financés par la Francophonie pour la maîtrise de l'eau.
Si les problèmes sont réglés, ce projet ne constitue-t-il pas un excellent moyen pour fixer les jeunes dans leur terroir ?
Evidemment. Je suis jeune et j'ai tenté d'émigrer. Aujourd'hui je suis là avec d'autres jeunes qui ont décidé de travailler la terre. On ne gagne pas pour le moment des millions, mais on ne se plaint pas. Aujourd'hui si l'eau est disponible, on est suffisamment encadré et le problème de la commercialisation réglé, on n'ira plus en Espagne, en France ou en Europe d'une manière générale.
Parce que ceux qui partent en Espagne font la même chose. Ils travaillent dans des périmètres agricoles. Et si les moyens suivent, nous allons développer de petites unités industrielles.
Nous aurons des entreprises rurales. Si on avait des usines, on cultive, on récolte, on transforme et on vend.
Le désoeuvrement des jeunes ne sera qu'un vieux souvenir car ils auront de quoi s'occuper et gagneront également bien leur vie.
De plus, les jeunes ne se préoccuperont pas d'être des fonctionnaires ou des émigrés.
PAR MAMADOU GUEYE ET MAGUETTE NDONG